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Ce blog a pour objet de collecter, d’échanger et de conserver la mémoire vivante de SAULX-LES-CHARTREUX.

Un Saut dans le Temps

LA GRAINETERIE NIOCHAU-GERVAIS

Il y a tellement à dire sur cet endroit, cher à nos cœurs, que nous avons décidé de rédiger 2 articles… Le premier, ci-dessous, va décrire nos souvenirs sur le côté RUE de la Graineterie et le second évoquera le côté COUR.

Rue de Villebon, la graineterie se trouvait au n°3 : elle a existé fort longtemps, plus d’un siècle, et a porté, en premier, le nom de la famille NIOCHAU.

Il existe une carte postale ancienne où l’on aperçoit une petite enseigne, au-dessus d’une simple porte donnant dans la rue. On peut y lire : G. NIOCHAU, pour Gustave, né le 29 octobre 1866 à Maisons (28) où il habite encore en 1896, au moment de son mariage.

Là-bas, près de Chartres, ses grands-parents étaient marchands-épiciers. Ses parents d’abord épiciers, puis grainetiers, vont travailler en famille avec Gustave et son frère Léon.

Gustave et son épouse Léontine viennent s’installer à Saulx et y auront 4 enfants : Georges, en 1897, Albert en 1902, Charles en 1904 et Maurice en 1907.

Gustave NIOCHAU, décèdera à son domicile, le 19 mars 1916. Il n’avait que 50 ans. Il était déjà la 3ème génération de commerçants de sa famille et ne savait pas que 5 autres allaient poursuivre la vie de l’entreprise.

LA GRAINETERIE NIOCHAU-GERVAIS

Cette carte postale montre 4 personnes qui posent devant le photographe. On peut reconnaître Alphonsine NIOCHAU, la mère, avec deux de ses fils : Georges, à droite, qui aura sa propre graineterie à Epinay-sur-Orge et Charles, à gauche. (Il va décéder, pendant la guerre du Rif, près de Constantine, au Maroc, en 1925, alors qu’il y est militaire et son nom figure sur le monument aux Morts du cimetière.) Un peu éloignée, avec un sac de toile dans les bras, c’est Antonia HOUSSé, leur voisine du 7 qui prend la pose.

Sur l’enseigne, il est indiqué que l’on peut acheter des graines potagères et fourragères, de l’avoine, de la paille et des fourrages, le nécessaire pour alimenter et soigner les chevaux, les vaches, les animaux de basse-cour, ainsi que les semences pour les cultures maraichères.

A l’étage, le volet de la porte du grenier est ouvert. C’est par elle que la paille et le fourrage entrants, étaient stockés. Sans le savoir, c’était déjà une forme d’isolation pour le logement d’en dessous : ce n’était pas encore d’actualité à l’époque, simplement du bon sens.

C’est une histoire familiale qui est à la genèse de ce commerce.

Quand je pense à la Graineterie, je revois obligatoirement toute la famille. Marie et Albert NIOCHAU qui ont eu 3 enfants, connus de tous les Salucéens : Huguette qui a repris le commerce de ses parents, André qui était libraire dans la Grande Rue de Longjumeau et Jean que l’on voit encore aujourd’hui comme porte-drapeau à toutes les fêtes commémoratives.

Les premiers, que nous avons connus à la tête de ce commerce, sont donc Albert et son épouse Marie. Je me rappelle quand ils étaient encore à la boutique, pas celle dont nous voyons la vitrine actuellement mais celle « d’autrefois », qui était plus petite, comme sur la carte postale. Ils habitaient dans la cour du 5 rue de Villebon, ils étaient nos proches voisins. Cette photo a été prise lors d’un défilé de la fanfare devant chez eux.

Albert et Marie NIOCHAU

Albert et Marie NIOCHAU

Marie portait en permanence un grand tablier bleu. Elle avait toujours le sourire, elle était tout en douceur.

Albert, que nous appelions tous « pépère », comme s’il était notre grand-père à nous aussi, avait une casquette bien vissée sur la tête et une cigarette, souvent éteinte, aux coins des lèvres. 

Je crois me souvenir que Pépère Albert utilisait un très vieux camion, un Renault bâché, de petite taille. J’aimais voir les clignotants, car ils sortaient de la tôle pour indiquer le changement de direction : des flèches directionnelles ! Albert devait faire des petits trajets, avec ce vieux fourgon, probablement des livraisons proches, ou aller voir son fils à Longjumeau.

Ils ont cédé leur commerce à leur fille Huguette mais n’ont pas quitté la vie active pour autant. Ils ne travaillaient plus à plein temps à la graineterie mais réalisaient toutes sortes de tâches qui leur étaient confiées : ils étaient un renfort familial !

Par exemple, Marie aidait sa fille, soit en préparant des repas, soit en triant les sacs de lentilles.

Merci à Maud Poirier pour s’être rappelé cette tâche longue et rébarbative.

Vous souvenez-vous des gestes que nous faisions ? Poser sur la table des lentilles et, avec les dix doigts des deux mains, faire des rangées de lentilles et chercher les cailloux qui s’y cachaient. Ils étaient de la même couleur que les graines ! Il y avait aussi des grains, de blé ou autres, qu’il fallait également enlever. Je l’ai fait pour ma mère étant petite mais sur des paquets de 500 grammes… pas comme Marie sur des grandes quantités ! (Les tiges de la plante étant coupées très près du sol, c’est ainsi que des petits éclats de cailloux et de terre pouvaient se retrouver avec les lentilles. Aujourd’hui, les moissonneuses-batteuses réussissent à faire le tri car les cailloux étant plus lourds que les lentilles, ils tombent quasiment tous, dans un bac de la machine, dès la récolte, et les minuscules qui se cachent bien seront découverts au moment de l’ensachage.)

Si Huguette NIOCHAU a commencé à travailler avec ses parents, elle n’est pas restée seule pour tenir la graineterie : elle a épousé Roger GERVAIS en 1949. (Nous vous avions montré une photo de leur mariage dans l’article, du 2 janvier, intitulé « Flânerie dans le centre de Saulx…».) Nous vous en proposons une seconde, au retour de la cérémonie religieuse, le cortège remonte la Grande Rue et passe devant la maison de Mademoiselle Hélène ANGIBOUST (aujourd’hui détruite pour laisser place à un parking) Les noceurs vont arriver au Café de la Grande Fontaine pour le banquet. (pour rappel : les articles du 7 septembre et 8 octobre 2023). Cette fois, c’est le jeune marié qui tient joyeusement le bras de sa femme et non plus son père.

Mariage Huguette NIOCHAU avec Roger GERVAIS

Mariage Huguette NIOCHAU avec Roger GERVAIS

Roger était lui aussi issu d’une famille salucéenne de négociants et transporteurs de vins. L’entreprise de ses parents était implantée au 64 rue de la Division Leclerc, à droite de la place de la mairie. Lorsqu’il a épousé la demoiselle Niochau, ses frères, Henri l’aîné, né en 1922 et Robert (le jumeau de Roger, nés en 1924, que l’on voit sur « Album photos d’un voyage de la fanfare dans les gorges du Tarn » dans notre article du 30 novembre 2024), ont continué de faire prospérer l’entreprise familiale GERVAIS pendant de nombreuses années.

Huguette et Roger qui ont tenu de main de maîtres, avec professionnalisme, expertise et sourire, la boutique pendant toute leur vie, connaissaient le nom ou le prénom de chacun de leur client.

Ils ont eu 2 fils. L’aîné est pharmacien à Arpajon et le cadet, Gérard soutenu par son épouse Micheline, a développé le commerce du 3 rue de Villebon, à son tour. Plus tard, ils feront construire un hangar encore plus grand et surtout plus proche de la N20 pour développer le transport routier (actuellement le local de Carrefour Market). Puis, l’entreprise sera définitivement implantée sur le MIN de Rungis, où aujourd’hui, leur fils, une nouvelle génération, perpétue le négoce.

Revenons à la boutique : dans son prolongement, il y avait une porte surélevée avec 2 ou 3 échelons en métal accrochés dans le mur, une véritable « Via Ferrata », à la verticale, que j’avais du mal à escalader. On pouvait, grâce à elle, accéder au « quai » qui traversait le bâtiment pour arriver dans la cour de la graineterie. Sur cet appontement, s’alignaient de gros sacs de toile. Aujourd’hui, je suis bien incapable de dire ce qu’ils contenaient exactement, mais c’était probablement du blé, de l’orge, du maïs…. du grain, du son et de la « farine » qui tombaient de la trémie de silos, eux aussi en toile, ou qui étaient remplis à l’aide de grandes pelles métalliques.

Sur ce quai, une très grosse balance attirait nos pieds quand nous passions à proximité mais nous n’arrivions pas beaucoup à faire bouger l’aiguille !

Au-dessus de la porte de ce quai, il y avait une poulie et une chaine qui permettaient de monter les sacs sur un plancher supérieur, une sorte de grenier à grains. Son chien-assis est toujours visible aujourd’hui.

Le chien assis sans sa poulie

Le chien assis sans sa poulie

C’est dans la décennie qui a suivi 1970 que la graineterie s’est modifiée avec l’ouverture d’une très grande vitrine.

Vitrine de la graineterie devenue vitrine de la crèche

Vitrine de la graineterie devenue vitrine de la crèche

Je ne me rappelle pas la première devanture, cependant la seconde est toujours en place. (aujourd’hui, elle accueille une crèche). Elle a été refaite avec deux immenses baies et une double porte vitrées. En bordure on voit encore les carreaux de grès flammé, formant des vagues. Du nom « Graineterie » il ne reste que les picots d’accrochage de l’enseigne.

Vestiges de l'ancienne enseigne

Vestiges de l'ancienne enseigne

J’ai de très nombreux souvenirs dans ce commerce. Je passais devant tous les jours et y allais à chaque fois que ma mère me le demandait. Elle ne craignait pas qu’il m’arrive quelque chose, car nous étions voisins et nos maisons se touchaient ; pas besoin de traverser la rue, juste de longer le trottoir sur moins de 10 mètres.  

A l’époque, dans la rue de Villebon, il faut se rappeler que les voitures roulaient en double sens, ce qui n’était pas aisé. D’ailleurs, personne ne se garait sur ce trottoir, côté impair, car juste devant la vitrine on pouvait voir un achalandage de végétaux, se succédant au fil des saisons : géraniums, pétunias, primevères, pensées, plants de salades, de pommes de terre ou tout ce qui pouvait être produit au potager.

Il n’est pas évident de faire l’inventaire de la boutique : tellement de choses les unes à côté des autres, mais je vais quand même essayer.

Mes souvenirs les plus savoureux sont lorsque je devais attendre mon tour pour faire les achats de maman. Il y avait foule dans cette graineterie : les gens venaient de loin mais l’attente n’était pas désagréable !

J’adorais avoir du temps pour mettre mes doigts dans les gros sacs de lentilles, puis de haricots secs ou de pois cassés. Les sacs de jute avaient leur bord bien roulé. Ils étaient parfaitement alignés au sol et surtout à portée de mes mains d’enfant. Remplis jusqu’en haut, ils m’arrivaient à la taille, ils étaient parfaits pour mes petites expériences sensorielles. Je pouvais patienter un long moment à caresser les haricots blancs ou rouges, glisser mes doigts et sentir leur vernis lisse bouger à chaque mouvement, tout en rondeur, tout en douceur. (Amélie Poulain le décrit parfaitement dans son « fabuleux destin ») J’aimais aussi la jolie pelle arrondie qui permettait de mettre ces légumes secs en sac. Elle offrait des reflets argentés magnifiques.

Les mains dans les graines

Les mains dans les graines

Huguette vendait également du riz long ou rond pour les desserts et même des brisures de riz, moins chères, que notre mère achetait pour préparer la gamelle de notre chien. Huguette avait une technique rapide et efficace pour fermer les sacs de papier, dodus à la base mais bien stables, en pliant leur bord supérieur en 2 oreilles symétriques à l’aide d’une agrafeuse ! CRAC ! CRAC ! Ils tenaient tout seuls !

Derrière, de grands bacs en grilles métalliques contenaient les pommes de terre et les carottes. Il y avait plusieurs sortes de patates, dont je ne retenais pas les noms ; maman me demandait celles « pour faire des frites », « celles pour la soupe » ou pour « la purée » et Huguette savait clairement ce qu’elle devait me servir. On ne faisait pas de stock à la maison puisque la boutique était « juste à côté ». On prenait toujours 2 ou 3 kg : ce n’est pas énorme mais, à bout de bras d’enfant, c’était quand même très lourd !

Au-dessus, dans des bacs plus petits, il y avait plusieurs sortes d’échalotes, ail et oignons…

Plus loin, étaient disposés les bulbes de jacinthes, tulipes, jonquilles ou narcisses.  Un autre alignement était fait par des rosiers aux appellations intrigantes. Ils portaient des noms de « dames » comme celui de Mme Meilland, Princesse de Monaco ou Baronne Rotschild. Une jolie étiquette montrait les coloris des fleurs que donneraient ces petites branches piquantes couvertes de cire rouge.

Depuis l’entrée, vers la sortie, nous dessinions un ovale avec nos pas et nos traces de pas, littéralement, les jours de pluie, car, au centre de la boutique était ancré un ilot longiligne dont on pouvait faire le tour. Il indiquait le sens de la marche pour atteindre le comptoir et supportait des étagères bien remplies également de chaque côté.

Dans un bout, en tête de gondole, était posée une grosse balance pour peser les paniers de légumes. Elle avait un grand cadran. Il m’est arrivé d’appuyer sur le plateau avec le doigt pour essayer de faire bouger l’aiguille… je ne montais pas bien haut, pas assez de force, ce n’était pas non plus une machine foraine à coup de poing ! Cette balance était posée sur un meuble en bois cubique, avec un tiroir où étaient cachés de gros poids, bien alignés et rangés par ordre de taille. Ce meuble est aujourd’hui ma table basse de salon.

Quand on arrivait au comptoir, on ne pouvait pas détacher nos yeux du meuble à tiroirs qui se trouvait sur le mur du fond. J’ai eu la chance qu’Huguette me donne le premier meuble à tiroirs de la première boutique lorsqu’ils ont vidé la grange. Il ne restait que 4 ou 5 tiroirs d’origine. J’ai fait refaire tous ceux qui manquaient, en chêne blond : c’est aujourd’hui une magnifique bibliothèque chargée d’histoires.

Le meuble aux 59 tiroirs

Le meuble aux 59 tiroirs

Dans chacun des 59 tiroirs, de ce meuble de métier, il y avait des graines. Des milliers, des millions de graines… de toutes sortes : laitue, batavia, mâche, radis ronds ou longs, encore un bel inventaire à faire. Toutes ces graines minuscules étaient de tailles, de formes et de couleurs différentes.

Huguette nous les servait avec de toutes petites mesures, les pesant au gramme près, le prix était calculé ainsi. Les deux balances du comptoir étaient des ROBERVAL aux plateaux cuivrés, de tailles différentes, accompagnées de leurs coffrets de poids rutilants : des gros, des moyens et de minuscules qu’il ne fallait pas perdre.

Huguette laissait glisser les graines dans des pochettes de papier qu’elle refermait, telle une professionnelle de l’origami, en formant une pointe repliée, triangulaire et étanche. Sur ce joli sachet de papier blanc ou brun du kraft, elle notait d’une écriture magnifique et soignée de quelles graines il s’agissait. Les étiquettes des tiroirs portaient également des mentions joliment calligraphiées.

Quand il n’y avait personne, Huguette s’activait dans sa cuisine dont la porte était communicante avec la boutique. Elle pouvait nous voir par un bandeau vitré. Nous ne restions pas seuls très longtemps. J’imagine qu’elle préparait le repas pour tous ceux qui travaillaient avec eux. Huguette ne restait jamais à rien faire : un coup de chiffon, la poussière à enlever, surtout sur la seconde série d’étagères qui étaient en verre. Elle profitait de chacun de ses passage pour réaligner les boîtes de produits.

Je croisais souvent Roger avec des sacs de 50 kilos sur l’épaule. Il alimentait les rayons de pommes de terre et autres grosses fournitures. Je n’imagine pas combien de pas il faisait par jour avec des charges importantes sur les bras, sur le dos ? Combien de kilomètres effectués et combien de tonnes portées toutes ces années ? L’ergonomie au travail, les bons gestes et postures n’étaient ni encore de rigueur, ni obligatoires !

Dans la boutique, une première petite pièce ouvrait sur la cour intérieure de la graineterie : cet endroit était dédié à tous les produits phytosanitaires. Toutes sortes de potions et engrais pour traiter les semis ou les végétaux, aujourd’hui probablement complétement bannis des ventes. Ce lieu servait également de passage pour se rendre dans la cour.

Il y avait une seconde pièce, donnant elle aussi sur la cour, c’était leur bureau mais nous n’y allions jamais. C’est là qu’ils géraient tout l’administratif de leur entreprise.

Les jours de livraison, dans la rue, d’énormes camions attendaient pour pouvoir entrer dans la cour de la graineterie. Quelquefois, ils stationnaient devant la fenêtre de notre salle à manger où il faisait noir le temps qu’ils attendent leur tour pour décharger leur marchandise.

La Graineterie attirait de très nombreux véhicules, dans les deux sens de circulation et dans les deux sens du commerce : les gros camions venaient se vider en livrant des matières premières et les voitures des clients se remplissaient tout aussi vite.

La graineterie a vraiment été une entreprise dynamique pour notre quartier, il y avait du monde tous les jours et de nombreuses personnes se retrouvaient pour bavarder de la pluie bienfaitrice, des limaces gourmandes ou bien pour échanger des conseils de plantations…

Nous continuerons notre description du côté cour dans un second article…

En attendant, qu’avez-vous comme souvenirs dans cette boutique ?

 

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